1. Contexte scientifique et réglementaire

1.1. Notion de confort thermique

La question de la sobriété énergétique dans le bâtiment est étroitement corrélée au niveau de confort thermique recherché. En effet, la disponibilité des énergies fossiles et leur usage massif a profondément modifié nos attentes de confort thermique dans le bâti sur le siècle dernier. Une étude datant de 20101 pointe l’évolution suivante au Japon : en 1940-1950, les températures jugées confortables en hiver étaient comprises entre 17.2 et 21.7 °C. Après 1981, cette plage de température s’est déplacé de +3 °C, et est comprise entre 20 et 24.5 °C. En été, la zone de confort était de 23.9 à 27.2 °C dans les années 1940-1950, et s’est abaissée de -1 °C pour atteindre 23 à 26.1 °C dans la période post 1981.

Illustration de la réduction de la zone de confort thermique entre 1940 et aujourd’hui

Illustration de la réduction de la zone de confort thermique entre 1940 et aujourd’hui, à partir des observations de l’étude de Yamamoto

L’omniprésence de machines capables de lisser les conditions thermiques à l’intérieur des bâtiments ont progressivement affiné notre zone de confort. Il a par ailleurs été observé que le mouvement inverse consistant à ré-élargir cette zone de confort est généralement bien plus ardu2.

Parallèlement plusieurs méthodes ont successivement été développées pour évaluer le confort ressenti par un être humain à partir de facteurs environnementaux mesurables (comme la température de l’air, l’humidité relative, la température radiante, etc).

La première étude de grande ampleur sur le sujet du confort thermique a été réalisée par O. Fanger dans les années 1970. Cette recherche sur un grand nombre de sujets a abouti à la création de deux indicateurs, le PMV (Predicted Mean Vote, ou Vote Moyen Prévisible) et le PPD (Predicted Percentage of Dissatisfied, ou Pourcentage Prévisible d’Insatisfaits), permettant de quantifier le degré de confort d’êtres humains selon des conditions environnementales. Cette étude reste fondamentale, puisqu’elle permet d’établir une corrélation assez exacte entre des paramètres environnementaux et la sensation de confort. Néanmoins, ce modèle a été établi sur la base d’espaces climatisés, et perd drastiquement en finesse lorsqu’il s’agit de quantifier le confort dans des espaces naturellement ventilées.

Dans les années 1990, G. Brager et R. de Dear ont introduit une avancée significative en proposant une approche plus flexible du confort thermique, intitulée “Confort thermique adaptatif” (Adaptive thermal comfort). Ce modèle s’est imposé comme le plus juste pour quantifier le confort thermique dans un bâtiment non climatisé, notamment avec la prise en compte de la température extérieure, et l’introduction d’une plage de confort variable, à l’opposé d’une unique température cible (22 °C) considérée comme confortable.

Par ailleurs les deux scientifiques ont établi un autre fait : les usagèr·es pouvant exercer un contrôle sur les conditions thermiques intérieures (comme le fait d’ouvrir une fenêtre, d’allumer un ventilateur ou de changer de vêtements) ont une plus grande tolérance aux variations de températures. Au contraire, dans les bâtiments climatisés, généralement dépourvus de tout contrôle individuel, les usagèr·es ont des attentes plus élevées en matière d’homogénéité et de températures fraîches.

Ces deux modèles nous informent sur l’histoire de la mécanisation des dispositifs de confort thermique en architecture, et notamment sur l’installation de systèmes énergivores destinés à maintenir une température lissée et continue tout au long de l’année en intérieur. Cette vision correspond à un idéal moderniste détaché de son milieu en exerçant un contrôle sur les conditions thermiques extérieures fluctuantes. La notion de confort thermique adaptatif intègre au contraire des pratiques potentielles pour la réduction de la consommation d’énergie des bâtiments, tout en conservant des qualités de confort thermiques équivalentes.

Nous disposons donc d’indicateurs scientifiquement établis et éprouvés permettant de quantifier le confort thermique d’un espace intérieur.

Nous rappelons par ailleurs l’existence de travaux de sociologie sur la question du confort thermique et sur sa construction sociotechnique particulière :

L’idée ou la sensation de confort se construit sous la forme d’un équilibre entre des besoins individuels ou collectifs, qui renvoient à la fois à des éléments concrets liés à l’espace occupé, mais aussi à des sensations (chaud/froid) et des systèmes techniques (chauffage, ventilation, volets, thermostat…) mobilisés pour satisfaire ces besoins. Les comportements relatifs au chauffage sont de leur côté contraints par des dispositifs techniques, des dispositions individuelles et des dynamiques sociales (Beslay, Zélem, 2008). En réalité, la température est moins un choix que le résultat des contraintes associées à une situation sociotechnique particulière. Le sociologue ne s’en tient donc pas à des mesures appareillées. Il interroge les occupants pour lesquels le confort n’est pas seulement thermique, mais bien plus largement un rapport satisfaisant ou pas à l’habitat et aux équipements technologiques.3

Lorsque cela est possible, il est donc indispensable de compléter l’étude simulée d’un bâtiment par le recueil des sensations décrites par ses usagèr·es.

1.2. Contexte normatif et réglementaire

La notion de confort thermique adaptatif telle que définie par les travaux de G. Brager et R. de Dear a progressivement été introduite dans les normes4. En France, c’est la norme EN 16798 qui établit pour la performance énergétique et la ventilation des bâtiments les données d’entrées couvrant la qualité de l’air intérieur, l’ambiance thermique, l’éclairage et l’acoustique. Cette norme fait la distinction entre deux types d’usagè·res :

  • les personnes dites “non adaptées” ;
  • et les personnes dites “adaptées”.

Cette distinction est fondamentale dans la compréhension de cette norme. En effet, une personne “non adaptée” correspond à un·e usagèr·e n’ayant pas de contrôle sur son environnement, donc l’impossibilité de moduler les conditions intérieures soi-même. Le confort de cette personne est donc quantifié selon le modèle de O. Fanger, et correspond à un milieu intégrant du refroidissement mécanique.

À l’inverse, une personne “adaptée” a la capacité de moduler son environnement, donc d’ouvrir ou de fermer des fenêtres, d’allumer un ventilateur, de changer de vêtements, etc. Le confort de cette personne est donc quantifié selon le modèle de G. Brager et R. de Dear, et correspond à un milieu ventilé naturellement.

Il existe actuellement un vide scientifique et juridique sur les dispositifs hybrides intégrant à la fois du refroidissement mécanique et de la ventilation naturelle. Ce sujet doit être investigué pour produire des modèles scientifiques valides.

Dans ses valeurs par défaut, la norme EN 16798 considère les personnes comme “adaptées” lorsqu’elles sont dans un bâtiment résidentiel. Dans tous les autres contextes, les personnes sont considérées comme “non adaptées”. Néanmoins le cadre est laissé suffisamment ouvert pour adapter les simulations aux deux types de personnes. Il est important de garder à l’esprit que cette norme donne les “critères par défaut recommandés pour l’ambiance intérieure”, mais n’a en aucun cas un caractère réglementaire et obligatoire.

Du côté réglementaire, la RE2020 est basée sur 6 indicateurs :

  • le , les besoins bioclimatiques, une évaluation des besoins de chaud, de froid (que le bâtiment soit climatisé ou pas) et d’éclairage ;
  • le , la consommation d’énergie primaire totale ;
  • le , la consommation d’énergies primaire non renouvelable ;
  • le , l’impact sur le changement climatique associé aux consommations d’énergie primaire ;
  • le , l’impact sur le changement climatique associé aux “composants” + “chantier” ;
  • et le , le degré-heure d’inconfort, soit le niveau d’inconfort perçu par les occupants sur l’ensemble de la saison chaude, elle est évaluée à partir des écarts entre température du bâtiment et température de confort (température adaptée en fonction des températures des jours précédents, elle varie entre 26 et 28°C).

La question du confort intérieur est donc centrale sur les exigences du (besoins bioclimatiques), ainsi que sur le (degré-heure d’inconfort). Par ailleurs, selon l’exigence de confort intérieur, la consommation d’énergie primaire est également impactée.

La méthode de calcul réglementaire des coefficients , , et est est nommée méthode de calcul Th-BCE, et a été publiée en annexe II, III et IV de l’arrêté du 4 août 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine5.

Les différents indicateurs de la RE2020 sont calculés à partir des données suivantes :

  • les données climatiques locales ;
  • la géométrie du bâtiment ;
  • les propriétés thermiques des matériaux ;
  • les équipements de chauffage et de refroidissement ;
  • les protections solaires ;
  • et les scénarios d’occupation et d’utilisation du bâtiment.

La méthode de calcul Th-BCE a l’avantage d’intégrer un bon nombre de données d’entrées, ce qui la rend assez exigeante pour un calcul réglementaire. Néanmoins, il est bien précisé dans sa définition que : “s’agissant d’un calcul réglementaire, [cette méthode] n’a pas pour vocation de faire une prédiction de consommation réelle ou de confort réel d’été.

2. Protocole de simulation

2.1. Recueil de données existantes

Si la simulation porte sur un bâtiment existant, la première étape du processus d’analyse consiste à collecter un maximum d’informations sur le bâti étudié, selon leur disponibilité :

  • informations générales :
    • année de construction ;
    • année de rénovation le cas échéant ;
    • planning d’occupation ;
    • consignes de chauffage ;
  • pièces graphiques :
    • plans, coupes, élévations, maquette numérique ;
    • toute photographie incluant le bâtiment (chantier, en utilisation, anciennes et récentes) ;
  • pièces écrites :
    • CCTP, VISA, documents de chantier ;
    • factures (électricité, chauffage) ;
    • contrats de maintenance ;
    • tout document de diagnostic.

Lorsque cela est possible, une visite sur site permettra d’apprécier physiquement les espaces du bâtiment, et d’affiner certaines informations qui ne seraient pas disponibles à partir des documents :

  • relevé géométrique du bâti ;
  • hypothèses de composition des parois ;
  • relevé des appareils d’éclairage, de chauffage, de climatisation (le cas échéant), etc.

Lorsque cela est possible, des questionnaires auprès des usagèr·es permettent de récolter des informations sur leur ressenti, leurs usages, et leurs questionnements. Cette étape permet également de documenter avec précision le planning d’occupation du bâtiment avec les types d’usages associés (assis, debout, activité sportive, usage d’ordinateur, d’électroménager, d’éclairage, etc), utile pour estimer correctement les apports dans le bilan énergétique de l’espace.

Enfin, une dernière étape de récolte de données d’entrées peut consister à installer des capteurs de température, d’humidité relative et de dioxyde de carbone à des localisations pertinentes dans le bâtiment étudié. En fonction des contraintes propres à chaque bâtiment et aux usagèr·es, ces capteurs pourront être laissés de quelques semaines à plusieurs mois. Il est important de noter que plus les périodes de captation sont longues, plus la diversité d’évènements relevés sera pertinente à étudier.

2.2. Choix des outils

Ladybug Tools est une suite d’outils (développée principalement par Mostapha Sadeghipour Roudsari et Chris Mackey) permettant d’interfacer Grasshopper avec les logiciels de simulation suivants :

  • OpenStudio (et par extension EnergyPlus) : simulation énergétiques ;
  • Radiance : simulation d’éclairement ;
  • OpenFOAM : simulation de fluides.

Son fonctionnement modulaire implique un temps d’apprentissage assez long, mais offre en contrepartie une liberté dans la construction des modèles de simulation, et incidemment une meilleure compréhension des différents paramètres influant sur le confort intérieur.

Le moteur de calcul EnergyPlus constitue l’élément fondamental de la simulation. C’est un logiciel open source développé par le département de l’énergie des États-Unis depuis les années 1980, et une référence dans le domaine de la simulation de bâtiments. L’origine outre‑Atlantique de ce moteur de calcul n’a pas d’incidence sur le contenu des simulations : le processus d’entrée des données permet de personnaliser tous les paramètres, et de correspondre finement à la situation que l’on souhaite calculer. La disponibilité de la documentation complète des méthodes de calculs internes d’EnergyPlus est par ailleurs un gage de transparence important dans le cadre de cette recherche.

Enfin, la disponibilité de tous ces plugins (Ladybug Tools, OpenStudio, EnergyPlus, Radiance et OpenFOAM) en open source permet de conserver des fichiers exploitables sur le long terme.

Principe de fonctionnement de Ladybug Tools par rapport aux moteurs de calculs, les logiciels avec une pastille vert sont open source

Principe de fonctionnement de Ladybug Tools par rapport aux moteurs de calculs, les logiciels avec une pastille vert sont open source

Plus globalement, le choix des outils utilisés dans le cadre de cette recherche sera toujours porté vers les solutions libre et open source lorsqu’elles sont disponibles.

La librairie Matplotlib est utilisée pour générer des graphiques, et le format de sortie .csv est privilégié pour les données brutes.

Le fonctionnement pratique de la suite d'outils Ladybug Tools est plus longuement abordée dans la partie 'Applications'. Un guide d'installation de ces logiciels est disponible ici.

2.3. Types de simulations

Les rapports de simulations thermiques dynamiques (STD) adoptent généralement une approche axée sur l’évaluation des consommations énergétiques prévisionnelles des bâtiments, dans le but d’en estimer les coûts d’exploitation. Cette démarche est principalement fondée sur des critères économiques, limitant ainsi l’exploration d’hypothèses alternatives. Il est essentiel de souligner le biais moderniste inhérent à ces simulations, notamment par l’intégration non critique d’équipements techniques tels que la ventilation mécanique, le chauffage et la climatisation.

La présente documentation se distingue par un approche visant au contraire à développer une méthode de simulation progressive permettant de quantifier la performance du bâti à l’aide de divers indicateurs, tout en identifiant les marges d’amélioration possibles, tant au niveau des stratégies passives qu’actives.

Trois types de simulations sont définies ci-après :

  • simulation en conditions inertes ;
  • simulation en conditions d’usage minimal ;
  • simulation en conditions d’usage conventionnel.

2.3.1. Simulation en conditions inertes

La première phase de simulation consiste à modéliser les bâtiments en conditions dites inertes, c’est-à-dire sans présence humaine, sans activation des systèmes techniques (ventilation, chauffage, climatisation), et sans interaction avec les ouvertures (portes, fenêtres). Cette condition simule un état statique absolu.

Ce type de simulation permet de quantifier le potentiel bioclimatique des bâtiments étudiés, en évaluant leur capacité intrinsèque à réguler les conditions thermiques internes en réponse aux variations climatiques extérieures, qu’elles soient chaudes ou froides.

En réduisant volontairement le nombre de variables d’entrée, cette simulation vise à mesurer la capacité des bâtiments à maintenir un confort thermique optimal en l’absence de toute intervention externe.

Tutoriel pour la simulation en conditions inertes

2.3.2. Simulation en conditions d’usage minimal

La deuxième phase intègre la présence d’occupants, qui interagissent avec le bâtiment en ouvrant ou fermant les fenêtres, en utilisant les éclairages et les appareils électriques. Cette simulation vise à évaluer l’impact énergétique induit par l’occupation humaine.

Ce modèle s’inspire du projet 2226 à Lustenau, en Autriche, conçu par les architectes de Baumschlager Eberle, où l’objectif est de maintenir une température intérieure confortable (définie ici entre 22°C et 26°C) tout au long de l’année, sans recours au chauffage, à la climatisation ou à la ventilation mécanique.

L’objectif de cette simulation est de quantifier les gains énergétiques inhérents à l’occupation, afin d’estimer la proportion de temps pendant laquelle il serait nécessaire de recourir à des systèmes de chauffage ou de climatisation.

Cette approche se distingue par la prise en compte d’une gamme d’usages, visant à évaluer l’impact potentiel des comportements des occupants sur le confort intérieur, tant de manière positive que négative. Plutôt que de simuler un comportement idéal, l’accent est mis sur la capacité des occupants à moduler leur environnement thermique, en les considérant non pas comme des usagers passifs, mais comme des agents actifs influençant leur propre confort thermique.

Tutoriel pour la simulation en conditions d’usage minimal

2.3.3. Simulation en conditions d’usage conventionnel

La troisième phase correspond aux simulations thermiques dynamiques standard, couramment utilisées dans les diagnostics énergétiques. Elle intègre l’utilisation des systèmes de chauffage, de ventilation mécanique, de production d’eau chaude sanitaire, et, si nécessaire, de climatisation.

Cette simulation — en continuité avec les précédentes — permet de comparer les performances passives du bâtiment avec l’impact des occupants et de leurs usages. Elle offre ainsi une vision intégrée des interactions entre le bâtiment, ses équipements et ses occupants, dans un contexte d’utilisation standard.

2.3.4. Tableau récapitulatif

Simulation en conditions inertesSimulation en conditions d’usage minimalSimulation en conditions d’usage conventionnel
Géométrie du bâtiment
Position géographique
Composition des parois
Apports solaires
Infiltrations
Occupants
Ouverture des menuiseries extérieures
Eclairage
Equipements électriques
Chauffage
Climatisation
Eau chaude sanitaire
Ventilation mécanique

Footnotes

  1. Marina Takasu, Ryozo Ooka, Hom B. Rijal, Madhavi Indraganti, Manoj Kumar Singh, Study on adaptive thermal comfort in Japanese offices under various operation modes, Building and Environment, Volume 118, 2017, Pages 273-288.

  2. Maohui Luo, Richard de Dear, Wenjie Ji, Cao Bin, Borong Lin, Qin Ouyang, Yingxin Zhu, The dynamics of thermal comfort expectations: The problem, challenge and implication, Building and Environment, Volume 95, 2016, Pages 322-329.

  3. Marie-Christine Zélem. Le confort thermique. Norme technique ou norme sociale ?. 2013. hal-03617490.

  4. Carlucci S, Bai L, de Dear R, Yang L, Review of adaptive thermal comfort models in built environmental regulatory documents, Building and Environment (2018), doi: 10.1016/j.buildenv.2018.03.053.

  5. L’ensemble des textes de la RE2020 sont disponibles ici.